mardi 30 janvier 2024

Jean-Marie Corda sous surveillance de la Miviludes

Rapport de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires)

 

II. Les promesses d’un enrichissement rapide et exponentiel


A. Vente multi-niveaux et cryptomonnaies, des formations en ligne très tendance à destination
des jeunes hommes


• La notion et l’organisation des ventes multi-niveaux


Les systèmes de vente multi-niveaux (VMN) ne sont pas nouveaux. Ce qui change aujourd’hui, c’est la cible constituée de jeunes gens de 16 à 25 ans. Ils sont séduits par l’idée de devenir « trader » pour leur propre compte et de s’enrichir en toute autonomie, notamment par les crypto monnaies. Ces réseaux proposent des « formations en ligne » présentées comme « éducation financière ». Ils encouragent ces
jeunes adultes à rompre avec leur cadre familial et à quitter leurs études au profit d’une entreprise présentant un haut risque de perte financière.
Ces systèmes de VMN utilisent les ressorts de la manipulation mentale et de l’addiction au jeu.


L’isolement social et le temps disponible ont incité les sociétés de vente multi-niveaux à être particulièrement présentes sur les réseaux sociaux pendant la crise sanitaire. Leur communication est extrêmement soignée avec une maîtrise du marketing digital. Elle s’adresse au plus grand nombre grâce à l’exposition permise par les réseaux sociaux. Guidés dans leur navigation par des mots-clés liés à la performance, à la
richesse et au bonheur, les internautes qui ont l’illusion d’être libres dans leurs choix de navigation ont été en réalité « ciblés » à leur insu.


Les systèmes de marketing de réseau génèrent très rapidement, pour les sociétés qui en sont à l’origine et leurs meneurs, d’importantes sommes d’argent. En réalité, ces réseaux ne profitent qu’aux entreprises qui les portent et aux « distributeurs indépendants » qui
sont arrivés les premiers puisqu’ils sont commissionnés sur toute nouvelle affiliation en-dessous d’eux. La personne recrutée sur les réseaux sociaux semble avoir très peu de chances d’atteindre le train de vie mis en avant par les meneurs car il arriverait trop tard dans l’organisation pyramidale.


Ces systèmes ciblent des publics différents : l’éducation financière et le trading pour les jeunes hommes, les compléments alimentaires pour les personnes souhaitant perdre du poids ou les sportifs, les produits de beauté pour les femmes, etc.


Les membres du réseau sont invités à prendre un statut d’auto-entrepreneur ou de vendeur à domicile indépendant (VDI) en France ou à créer une structure à l’étranger, ce qui est tout à fait légal.
Cependant, dans certains systèmes de vente multi-niveaux, la vente de produits ou prestations n’est qu’un prétexte pour déguiser un système pyramidal. L’essentiel des revenus des membres, leur permettant de vivre convenablement, ne provient pas tant de la vente de produits ou de prestations en ligne mais plutôt du développement de leur réseau. Leur source principale de collecte d’argent semble ainsi se faire par le biais de la récolte des droit d’entrée, des abonnements mensuels etc. Une partie de ces sommes sera reversée aux principaux promoteurs du réseau sous forme de commissions d’affiliation.


• Les éventuels risques de la vente multi-niveaux Le principal danger vient du fait que les techniques de manipulations utilisées dans ces réseaux conduisent les membres à dépenser leur épargne, leurs économies ou bien encore leurs maigres revenus, voire à vendre leurs biens. Le public ciblé ne dispose pas toujours du recul nécessaire eu égard aux sollicitations dont il fait l’objet. Il peut être rapidement séduit par des promesses de revenus importants et « passifs », dans un contexte social difficile de crise sanitaire et de difficultés d’insertion professionnelle en particulier. Ces jeunes peuvent également être convaincus de prendre part à un réseau élitiste, uniquement accessible à ceux qui seraient assez malins pour avoir décelé les failles d’un système économique décrit comme injuste et sans perspective d’avenir.


Pour les prestations liées à l’éducation financière, de jeunes adultes sont fortement incités à adopter un comportement à haut risque, tant humain que financier. Ils sont parfois encouragés à se soustraire à la fiscalité française, à ne poser aucune question sur les transferts financiers au profit de comptes bancaires utilisés ainsi que sur des rémunérations perçues via des cartes prépayées. Ces procédés, susceptibles d’être qualifiés d’opaques, peuvent laisser craindre l’utilisation de ces jeunes comme « mules » financières. En
effet, après qu’ils aient ouvert des comptes voire des sociétés à l’étranger, tout en ignorant les tenants et les aboutissants des flux financiers concernés, des transactions financières pourront être opérées de manière irrégulière en leur nom propre et à leur insu. Peu à peu, à mesure que leur capital diminue, ces victimes se retrouvent particulièrement démunies. Elles peuvent être incitées à quitter le domicile familial ou leur conjoint si leurs proches n’adhèrent pas au réseau ou à la démarche poursuivie. Les échecs et les difficultés rencontrés dans le processus d’enrichissement sont souvent attribués à l’entourage de
l’apprenti trader.
Au-delà du préjudice financier, ce phénomène est d’autant plus inquiétant qu’il encourage les membres du réseau à un engagement et un épuisement total. Ces systèmes semblent s’accompagner d’une forme de cyber-harcèlement à double visée : il s’agit à la fois d’une arme de séduction et d’une technique d’affaiblissement et de sujétion. 

En alertant sur les risques de ces systèmes, il s’agit de lutter non seulement contre toute atteinte à la dignité et aux droits fondamentaux du citoyen, mais également contre l’émergence et le développement d’une économie sectaire

 

En 2021, la MIVILUDES a traité des saisines venant de la France entière, relatifs à Jean-Marie CORDA et sa communauté(187). Ces saisines émanent de parents inquiets de son influence exercée sur des jeunes hommes entre 17 ans et 28 ans.


Jean-Marie CORDA se présente sur les réseaux sociaux sous plusieurs identités : vidéaste, acteur pornographique, coach sexuel et artiste de rue. Aujourd’hui, il critique le système occidental : selon lui, la France va « brûler » et il faut quitter ce pays avant qu’il ne devienne « Franquistan », c’est-à-dire un pays sous la coupe des talibans. En réponse, Jean-Marie CORDA prône un mode de vie nomade capitaliste dans des paradis fiscaux. Il fait l’apologie du proxénétisme et de la prostitution. Pour diffuser ses thèses, il poste des vidéos sur YouTube de quelques minutes pour attirer les internautes et les développe ensuite sur d’autres serveurs pour éviter « la censure de YouTube ».


Les jeunes recrues sont invitées à rejoindre sa communauté sur les réseaux sociaux en vue d’une expatriation vers les pays de l’Est – en particulier vers la Russie, la Biélorussie, l’Estonie, l’Ukraine ou bien encore la Bulgarie – avec à la clé la promesse de devenir riche et d’être réellement libre.
Il recruterait principalement sur le site jeuxvideo.com, média de référence des joueurs en ligne. Ce site s’adresse officiellement aux 18-25 ans mais attire également un public à la fois plus jeune et plus âgé. Il embrigaderait aussi par le biais de conférences sur YouTube articulées autour des thèmes de l’argent, de la puissance financière, du sexe, de la compétence et du savoir (skills), de la manipulation et l’influence, de la force physique (combat, musculature), de la force émotionnelle (contrôler ses émotions) et de l’identité 

Jean-Marie CORDA a conçu un programme de développement personnel nommé « Domination By Love » (DBL) dans lequel il enseigne aux internautes des techniques de manipulation en vue d’une réussite sociale. DBL est en réalité pensé comme une communauté dont le but est d’être « à son service car il est le gourou » et d’inciter les gens à s’expatrier (« le but, c’est l’expatriation »).


Il développe également une
activité de vente multi-niveaux. Jean-Marie CORDA propose aux jeunes hommes de gagner d’importantes sommes d’argent rapidement. Moyennant un abonnement mensuel de 30 euros, les membres du groupe DBL doivent payer 25 euros mensuels supplémentaires pour avoir chaque jour des conseils de placement en cryptomonnaie. Jean-Marie CORDA aurait mis en place une crypto-factory (usine de cryptomonnaie) et lancerait plusieurs crypto-monnaies dont le Checoin et plus récemment le Guccicake. Il solliciterait les membres de la communauté DBL à y investir de l’argent. Moyennant 200 euros pour 4 heures de vidéos, il posterait des tutoriels à l’éducation financière. Les jeunes gens seraient invités à répertorier leurs ressources financières ou biens à vendre. Incités à garder le secret sur leurs activités, ils adopteraient un discours totalement étranger pour leurs proches mêlant théorie du complot, misogynie et posture anti-vaccins. Pour récompenser les membres du réseau les plus méritants, le meneur du mouvement proposerait les services de prostituées sur une plateforme en ligne. 


Pour l’expatriation dans les pays de l’Est, le pack est à 2 500 euros hors transport hébergement et restauration et couvrirait les frais de démarches administratives.
Cette expatriation permettrait de bénéficier d’une fiscalité avantageuse dans un pays de l’Est et de développer le business de son choix.
Parallèlement à l’éducation financière, l’éducation sexuelle constitue un thème très développé dans la communauté. À titre d’illustration, il a mis en ligne un tuto « Comment étrangler sa copine ».

 En outre, les membres du groupe peuvent bénéficier de formations au russe ou bien encore aux arts martiaux, aux techniques de survie ou aux méthodes de combat rapproché.
La communauté serait organisée en forums selon des thèmes d’intérêt ou
topic et des sections par pays d’expatriation. Les critères de recrutement au sein des forums sont laissés à l’appréciation du chef. Par exemple, pour entrer dans le groupe « Dropshipping », il est nécessaire d’afficher de bons résultats sur cette activité. Pour poster du contenu ou faire des commentaires, il faut payer un droit. 

Les témoignages adressés à la MIVILUDES évoquent des ruptures avec l’environnement social et familial, des sollicitations de sommes exorbitantes en contrepartie de promesses d’une réussite sociale et de gains rapides. Les proches dénoncent un système conduisant à un enfermement total, une soumission et un engagement inconditionnel aux meneurs. Ils sont très inquiets de l’expatriation organisée dont ils
méconnaissent les finalités.


Si la MIVILUDES ne dispose d’aucun pouvoir d’enquête, elle travaille en revanche en étroite coopération avec son réseau de partenaires institutionnels, notamment la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF). Cette direction rattachée au ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance est compétente pour appréhender et sanctionner les
réseaux de VMN dont le modèle économique contreviendrait aux dispositions du Code de la consommation. Les pratiques mises en œuvre par ces réseaux peuvent en effet constituer des
pratiques commerciales trompeuses comme précisé à l’article L.121-2 et s. du Code de la
consommation et reposer sur des schémas de vente illégaux au sens de l’article L.121-15, 2° du même Code (offres d’adhésion à une chaîne faisant espérer des gains financiers par la progression géométrique du nombre d’adhérents). Ces délits sont sanctionnés d’une peine de prison de deux ans et d’une amende de 300 000 euros.

L’action conjuguée des différents services de l’État contribue à améliorer sensiblement la lutte contre les mouvements sectaires, notamment par la mise en place d’un processus  d’information et de suivi des signalements opérés auprès de l’autorité judiciaire pour une meilleure prise en charge des victimes.

 

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